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Turquie: Les gouvernements européens vont-ils se dissocier du barrage d'Ilisu ?

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The ancient town of Hasankeyf will be flooded by the Ilisu Dam (peevishsoul )

Mercredi 8 octobre 2008

En envoyant une déclaration de perturbation environnementale aux autorités turques, les gouvernements allemand, autrichien et suisse ont entamé le processus de retrait de leur soutien financier au projet d'Ilisu en Turquie. C'est un énorme succès pour les acteurs européens de la campagne anti-Ilisu. Alors que le gouvernement allemand a encouragé cette décision sans précédent, l'attitude des gouvernements autrichien et suisse est plus ambiguë. L'avenir du projet sera décidé dans les deux prochains mois.

S'il est construit, le barrage d'Ilisu, sur le Tigre, entrainera le déplacement de 50000 Kurdes, inondera le site de Hasankeyf et ses 10000 ans d'histoire, et provoquera d'importants dégâts environnementaux. Face à la forte opposition des personnes touchées et des ONG, les gouvernements autrichien, allemand et suisse ont donné leur accord pour des crédits à l'exportation, mais en imposant 153 obligations à remplir.

Comme je l’ai dit précédemment sur ce blog, les experts indépendants qui surveillent le projet ont à maintes reprises fait savoir que la Turquie ne remplit pas ces obligations. Leur dernier rapport d'étude en arrivait à la conclusion qu’avec ce projet, "le risque d'appauvrissement, de misère et de désorganisation sociale pour l'immense population qui vit dans ce réservoir est réel." Pour eux, il ne fait aucun doute qu’un manquement à ces obligations constitue "de fait une rupture du contrat légal avec les agences de crédit à l'exportation".

Lors d'une réunion avec les militants anti-Ilisu, le sous-secrétaire d'état allemand a aujourd'hui annoncé que les gouvernements autrichien, allemand et suisse ont lancé un préavis à la Turquie en transmettant au gouvernement à Ankara une déclaration de perturbation environnementale. Selon les accords de crédit, la Turquie dispose de soixante jours pour remplir les obligations qu'elle n'a pas réussi à mettre en place au cours des dix-huit derniers mois.

Cette nouvelle a ravi le maire d'Hasankeyf qui participait à la réunion aujourd'hui à Berlin. "Le retrait probable des européens est une bonne nouvelle pour les habitants d'Hasankeyf et va nous motiver pour renforcer notre action militante en Turquie contre ce projet. On vient de nous donner une vraie chance de pouvoir sauver notre foyer, sa nature et son héritage culturel ancestral," expliqua Abdulyahap Kusen.

Le BMZ, ministère du développement allemand, a été le moteur de cette décision de ne plus accepter la fraude sociale et environnementale que constitue le projet Ilisu. Un porte-parole du BMZ a décrit la déclaration de perturbation comme une "toute dernière chance" et fait savoir que "notre patience arrive à bout". Par contre, l'agence autrichienne de crédit à l'exportation OeKB ne veut pas considérer cette décision comme "le début du retrait", et s'est contentée de dire qu'il était "nécessaire d'apporter des améliorations" au projet. La SERV, agence suisse de crédit à l'exportation, a quant à elle indiqué qu'il serait peut-être nécessaire de prolonger le délai au-delà des soixante jours.

Même si le projet n'est pas arrêté, ce qui s'est passé aujourd'hui est sans précédent. Cela n'aurait pu se faire sans l'intégrité politique de la ministre allemande du développement, Heidemarie Wieczorek-Zeul, et de son personnel, l'indépendance des équipes de surveillance officielles, et surtout, la résistance courageuse des personnes touchées de la région d’Hasankeyf ainsi que la campagne persistante des militants européens anti-Ilisu : l'autrichien Ulrich Eichelmann, qui s'est battu contre le projet en ayant su faire preuve d'obstination et de créativité ; l'allemande Heike Drillisch, qui a coordonné les activités de la campagne sur un budget restreint ; la suisse Christine Eberlein, qui a réuni pas moins de 37000 signatures sur des cartes de protestation envoyées au gouvernement suisse, et bien d'autres encore.

Tant que les gouvernements, particulièrement à Berne et à Vienne, hésitent encore, il faut que les activistes en Turquie, en Autriche, en Allemagne et en Suisse continuent leur campagne sur les deux prochains mois pour empêcher un accord de dernière minute au détriment de la population concernée. Nous allons contribuer à la surveillance de ce projet par l'intermédiaire de nos contacts à Berkeley.

Peter Bosshard est le directeur politique d'International Rivers.