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Genève, Logement étudiant : une coopérative contre le racket locatif

Étudiant en galère cherche logement hors de prix… À Genève, cette situation n’est plus une fatalité. Des étudiants ont répondu à la crise du logement en créant leur propre coopérative, la Ciguë, qui gère aujourd’hui 450 chambres. De quoi empoisonner les spéculateurs immobiliers. Et proposer une alternative à la précarité.

Cela ressemble au logement étudiant idéal. Très loin des chambres en cités U hexagonales, aussi étriquées que spartiates, et trop souvent vétustes. En haut d’un escalier, une terrasse en bois recouverte de verdure débouche sur des appartements lumineux. Chambres spacieuses, espaces collectifs fonctionnels, loyers imbattables et vie communautaire animée. Le tout à deux minutes à pied de la gare, et à quelques stations de tramway des différentes universités. Difficile de trouver mieux au cœur de Genève !

L’immeuble appartient à « la Ciguë », une « Coopérative immobilière genevoise universitaire et estudiantine ». Depuis vingt-cinq ans, la Ciguë propose plusieurs centaines de chambres à bas prix aux étudiants, dans l’une des villes les plus chères d’Europe. Chaque habitant est aussi coopérateur, et donc collectivement propriétaire des logements de la coopérative. Assemblées générales, réunions des délégués, commissions de travail, accueil des nouveaux locataires et discussion sur les immeubles en cours de construction : ici, on cultive participation et responsabilisation.

« La Ciguë » : un remède à la cherté des loyers

Tout commence en 1986, lorsque la Conférence universitaire des associations d’étudiants (CUAE ) occupe une salle de l’université de Genève, en réaction à la crise du logement. Le syndicat étudiant décide alors de créer une coopérative. Deux mois plus tard, un immeuble vide est mis à disposition par la ville dans le quartier de Montbrillant, et accueille ses quinze premiers étudiants. La Ciguë est née. Elle gère désormais une trentaine d’adresses et permet à 450 étudiants de ne plus s’empoisonner la vie avec la cherté des loyers.

« Le taux de logement vacants est de 0,2% à Genève, ce qui est très faible , explique Guillaume Käser, membre du conseil d’administration. Pour que le marché fonctionne, sans pénurie, il faut un taux 10 fois supérieur. Certains étudiants vont s’installer à plus de 15 kilomètres, hors du canton ou en France. » Beaucoup vivaient dans des squats, jusqu’à ce que les autorités lancent une « politique de nettoyage » contre les squatteurs, mettant fin à une période de relative tolérance. « Aujourd’hui, il n’y a plus de bâtiments vides, chaque m2 est utilisé », souligne Guillaume Käser.

Leila, Claire et Simon partagent l’un des huit appartements de l’immeuble de la rue Montbrillant. « Il n’y a pas de comparaison possible avec d’autres logements. Avant, je vivais en collocation avec dix personnes, à dix kilomètres du centre-ville. Et on payait un loyer deux fois plus cher », indique Simon. Pour habiter un appartement proposé par la coopérative, il faut avoir plus de 18 ans, être en formation, et gagner moins de 2.400 francs suisses par mois (1.800 euros). Quand une chambre se libère, un mail informe toutes les personnes sur liste d’attente qu’une « attribution » va avoir lieu. « L’attribution », c’est le moment où un nouveau colocataire est choisi, dès qu’une chambre est vacante.

Ce sont les habitants qui sélectionnent leur futur colocataire. « Dans mon cas, ils ont choisi quelques candidats qui leur plaisaient puis ont procédé à un tirage au sort , explique Leila, étudiante aux Beaux-Arts. « Souvent, les colocataires privilégient les personnes à bas revenu, ceux qui en ont le plus besoin ». Le loyer est de 300 francs suisses en moyenne (225 euros). Rien de comparable avec les prix du marché à Genève. Problème : comment distinguer les étudiants motivés par l’aspect coopératif, et pas seulement par des loyers très attractifs.

« La participation des habitants est forte pour repeindre leur appartement, acheter un lave-vaisselle ou des meubles, gérer les relations avec le voisinage », observe Guillaume. Si les coopérateurs s’investissent sur les chantiers les plus concrets, ils ont tendance à délaisser la vie démocratique de la coopérative. « 10 à 20% des coopérateurs seulement participent aux Assemblées générales », déplore-t-il. La vie démocratique de la Ciguë passe aussi par des commissions spécifiques : la médiation pour gérer les conflits, l’attribution des logements pour les lieux où personne n’habite, pour organiser la fête annuelle... L’accueil des étudiants à la recherche d’un logement est aussi tenu bénévolement par les coopérateurs.

Chaque immeuble compte des délégués élus. Ils assurent le lien entre le conseil d’administration et les habitants. En échange du service rendu, ils ne payent pas de loyer. Les délégués bénéficient aussi d’un petit budget pour favoriser l’animation : achat d’un barbecue ou d’un vidéoprojecteur pour des séances de cinéma… Les projets ne manquent pas. « Cette semaine, par exemple, on organise un festival de films : 10 fictions et 10 documentaires seront projetés, tous réalisés par des coopérateurs », décrit Guillaume Käser. La richesse du lieu ? « L’énorme diversité des habitants… Il y a des gens peu politisés, d’autres qui viennent de squats ou sont investis dans des associations, et puis des étrangers qui parlent à peine français. »

Sociale, la coopérative se veut aussi écologique : normes Minergie Plus (mieux que les normes HQE – Haute qualité environnementale), chauffe-eau solaire, isolation renforcée et triple vitrage, béton recyclé, travail sur les nuisances sonores… Et pour les habitants, une charte environnementale à respecter.

Ceux-ci restent en moyenne deux ans. « Cela fonctionne parce qu’il y a un équilibre entre bénévolat et professionnalisation , analyse l’administrateur. Six salariés à temps partiel assurent les missions administratives, et notamment la recherche de nouveaux logements. Grâce aux quatre immeubles qu’elle possède, sur des terrains loués à l’État via un bail emphytéotique, la Ciguë dispose d’un « socle » permanent de 150 chambres. Le reste est plus fluctuant et dépend des locations à bas prix dans des immeubles vides, ou d’appartements prêtés. D’où la nécessité de trouver chaque année de nouveaux lieux. D’autant que cette année, la coopérative devrait perdre un tiers de ses 450 chambres.

Une partie des appartements est sous statut « CPU » (Contrat de Prêt à Usage), un contrat de bail simplifié et allégé, lié au mouvement squat. Ce sont, par exemple, des immeubles voués à la destruction que le propriétaire prête à la coopérative en attendant. Une manière pour le propriétaire d’éviter les squatteurs, de rentabiliser un peu son patrimoine avant les travaux, tout en pouvant exiger le départ des occupants dès qu’il le souhaite...

« La Ciguë, c’est mortel ! »

L’« esprit coopératif » n’est pas une nouveauté en Suisse. Entre marché privé et parc public, le logement coopératif représente jusqu’à 20% du parc immobilier dans des villes comme Zurich. Mais à la Ciguë, le renouvellement incessant des coopérateurs – et d’une partie des logements – rend parfois difficile la transmission de ses valeurs. Le risque que les habitants finissent par considérer la coopérative comme un simple prestataire de services ou une agence de location est réel. Même le nom de la Ciguë semble parfois tomber dans l’oubli. Exemple de cette réponse spontanée d’un coopérateur : « La Ciguë ? Euh… Parce que c’est mortel ! ».

Comment, dans ces conditions, pérenniser son action ? La coopérative cherche à être propriétaire plutôt que locataire précaire. Plusieurs projets de construction, sur lesquels travaillent étudiants et architectes, sont lancés. Les banques prêtent 95% des fonds nécessaires, la coopérative doit amener les 5% restants. Une somme qui vient en partie de subventions et de dons, mais aussi de la part sociale demandée à chaque coopérateur à son arrivée, l’équivalent d’un mois de loyer. La Ciguë recueille aussi un million d’euros de loyers par an. Mais avec les intérêts remboursés à la banque, les charges d’entretien des immeubles, les réserves sont aujourd’hui épuisées. Autre point noir : des impayés de loyers qui tendent à s’accumuler. Entre souplesse face aux difficultés financières des étudiants et nécessité de collecter les loyers, difficile de trouver l’attitude adéquate concernant les retards de paiement. « Nous vivons une utopie, dans un état d’esprit cool, alors humainement c’est très dur d’intervenir auprès des mauvais payeurs », concède Guillaume. Au risque peut-être de compromettre le développement futur de cette belle alternative.

Basta!

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